Neuvième lettre Prassane
De rerum natura
Texte de Désiré Boulet
Dénèbe
le 25 Antartica année 153 ap-hyper
Chère sœur d'incubat
Depuis ma dernière lettre j'ai réussi à rencontrer un de ces veilleurs aux étranges perceptions. J'imaginais découvrir un Dénébien habitant une grotte ou un lieu inhospitalier dans un endroit isolé et inaccessible. En fait rien de cela, le veilleur que j'ai vu n'était pas un Dénébien, mais une sorte d'étrange symbiote à la fois végétal et animal installé dans un des palais de Mâ. Ces palais sont d'immenses constructions dédiées à une divinité tutélaire appelée Mâ.
Une fois par an, des milliers de Dénébiens s'y retrouvent pour pratiquer la cérémonie du Tout. D'après leur croyance ce Tout est l'énergie qui donne naissance aux choses physiques et immatérielles. Nous ferions donc nous-même partie de ce tout et nous y retournerions après notre mort. Cette religion s'apparente beaucoup au néo-bouddhisme terrestre puisqu'elle évoque également la réincarnation.
Le veilleur avait des ramifications courant dans tout le palais. Mon guide m'a assuré que ces sortes de racines allaient bien au-delà des murs et rejoignaient les autres villes où sont installés d'autres veilleurs. En fait la planète est parcourue par tout un réseau que je qualifierai de synaptique, une sorte de gigantesque cerveau à l'échelle planétaire. Le veilleur ou plutôt le neurone auquel j'ai eu accès ressemblait à un énorme bulbe couverte de cils vibratiles aux mouvements incessants. Ces mouvements traduisent son activité. Plus les mouvements sont importants, plus le veilleur est actif. En principe l'activité augmente au fil du temps mais de manière désordonnée. Il faut que les Dénébiens pratiquent la cérémonie du Tout pour que les mouvements se re synchronisent et que l'activité redevienne normale.
Les communicateurs aux arabesques multicolores sont également reliés au réseau des veilleurs. Ils réalisent l'interface qui permet de communiquer non seulement l'information, mais aussi de l'analyser, de la partager et de retourner les résultats . La découverte de leur hyper propulsion a été faite selon ce procédé. Tous les Dénébiens se sont mis en symbiose à l'aide de leurs communicateurs afin de trouver le moyen de se déplacer physiquement sur d'autres mondes. Ce procédé ne m'a pas été révélé, mais il s'inspire probablement de la nature comme toute leur technologie.
Ce gigantesque calculateur pourrait leur donner les clés de l'univers, mais les Dénébiens fuient la puissance. Tout au long de leur longue histoire, ils ont trop vu de civilisations semblables à la nôtre qui ont brillées au firmament avant de disparaître en super novæ.
Cette symbiose planétaire a également la possibilité de détecter des évènements lointains, tels que notre défaite face aux Prassiens. Je n'ai pas encore bien compris comment, mais les évènements importants perturbent le Tout au point que les veilleurs en sont informés. Là encore les Dénébiens prouvent combien la nature est de loin supérieure à notre technologie. Notre monde originel devait posséder de telles créatures, mais nous les avons probablement détruites par ignorance ou arrogance envers les religions animistes. Toujours la loi du plus fort…
J'ai demandé à faire l'apprentissage, oserais-je dire l'initiation de Mâ, pour interpréter correctement les informations des communicateurs. Le Représentant a accepté, c'est à dire l'ensemble de la planète, mais à conditions que j'élimine de mon organisme toutes les fonctions artificielles. A l'heure où je t'écris, mon sang passe dans l'épurateur du lab pour désactiver et supprimer les nano-fonctions. Mon cerveau sera également libéré grâce à un champ inhibiteur créé par le collectif Dénébien. J'ignore jusqu'où cette métamorphose m'entraînera, mais j'ai l'impression de vivre une renaissance.
Je profite de cet hyper pour te remercier des informations que tu m'as envoyées concernant Lucrèce et Epicure. J'ai lu et relu tous les textes qui nous sont parvenus et je suis effaré de leur modernité. En particulier le poème intitulé " De rerum natura ".
J'y ai relevé quelques phrases qui semblent faites pour les Dénébiens :
" rien n'est plus doux que d'occuper les hauteurs bien protégées par le savoir des sages, temples tranquilles d'où l'on peut plonger ses regards vers les autres, les voir errer de-ci de-là, chercher le chemin d'une vie hasardeuse, rivaliser de talent, lutter pour leur rang, s'efforcer nuit et jour, en une énergie exceptionnelle, d'atteindre les sommets de l'opulence et du pouvoir." Ô misérables pensées, ô cœurs aveugles des hommes "
Et cette autre : " Comment ne pas voir que la nature ne réclame rien d'autre pour elle que la douleur soit éloignée du corps et que l'esprit libéré de crainte et de souci jouisse d'une sensation agréable ?"
Et enfin ces deux dernières : " Finalement puisque les richesses ne sont d'aucun profit pour notre corps, pas plus que la noblesse ou la gloire d'un trône, il ne reste qu'à juger qu'elles ne sont pas plus utiles à notre âme (......) Il est donc nécessaire que ce soient non les rayons du soleil ni les traits lumineux du jour qui chassent l'effroi et l'obscurité de l'âme mais l'explication et l'observation de la nature. "
Ce texte explique à merveille les pratiques et les mœurs Dénébiens. Ne pas intervenir dans les affaires du monde mais l'observer dans sa quête de chimères. Libérer l'esprit en supprimant la douleur physique, cette libération va ici jusqu'à supprimer tout voisinage afin d'atteindre le bien être du corps. Les Dénébiens vivent sans excès, mais dans un confort certain. Et enfin cette sacro-sainte nature mère de tous progrès. Mis à part le fait que ce texte d'origine terrestre soit fait pour les Dénébiens, rien de bien nouveau sur condamnation la nature humaine et son inextinguible soif de pouvoir.
Ce qui devient étrange et surprenant est la deuxième partie du poème qui parle de la matière : " les atomes qui se détachent de chacune, diminuent celles qu'ils quittent et augmentent celles qu'ils rejoignent ". J'y reytrouve le fameux Ex nihilo nihil, que m'a cité le représentant, rien ne vient de rien.
Comment cent ans avant JC et sans accélérateurs les Grecs ont-ils pu comprendre la nature atomique de la matière ?
D'autres phrases sont aussi étonnantes : " ils se promènent (les atomes) à travers le vide, il est logique que tous ces corps premiers se déplacent soit sous l'effet de leur propre poids, soit, d'aventure, sous celui d'un choc étranger puisque, après leurs collisions, ces atomes rapides soudain s'éparpillent " Sous une forme rhétorique, cette phrase pourrait convenir à la physique quantique. Il est de plus évoqué la notion de vide difficile à prouver à cete époque.
" il n'y a pas de fond dans l'univers, les atomes n'ont nul endroit où se retenir, puisque l'espace est sans fin et sans taille (.....) ceux qui sont transportés en masse en un rassemblement plus condensé rebondissent en des intervalles étroits, et gênés eux-mêmes par leurs figures entrelacées, ils constituent les fortes racines de la pierre, les corps sauvages du fer et les autres choses de ce genre. "
" qu'ils doivent exceller de rapidité et être portés beaucoup plus vite que les feux du soleil et traverser une distance multiple dans le même temps que les rayons du soleil parcourent le ciel "
Cet partie de texte évoque la force de cohésion atomique et la possibilité d'aller plus vite que la lumière !!!
Je n'ose pas parler d'hyperespace, ce serait tout bonnement incroyable que ces Grecs qui ne disposaient que d'une technologie primitive aient pu l'imaginer. Il aurait fallu qu'ils sachent que la lumière avait une vitesse mesurable. Apparemment ils le savaient…
Le représentant m'a mis sur la voie d'un secret qui lie nos deux mondes depuis toujours. A la lumière de ces révélations je vais essayer d'en savoir davantage auprès du représentant, mais ai-je les bonnes questions ?
Que Sol rayonne pour toi.
Mont-esquieux
Ton frère.