Mauvais temps
Texte de Hardcore Minautore

Et si cela vous arrivait ???

Ce matin,alors que je m'extirpais péniblement d'un rêve assez détrempé, j'ouvris un oeil de grange sur un champ nauséeux. La campagne, vide de toute sève, arpentait le néant à grand galop de silence. Lles blés morts s'avachissaient sur les peaux de vaches et les larges ailes des faucons planaient sur les cheminées froides. Un horizon de maïs grillé par le soleil noir laissait entendre le glas de quelque village égaré, oublié par les caméras, qui ici ne voient pas, pas même celle de Vincent Marronnier. Les carreaux poussiéreux refusaient d'en montrer plus. Le monde, vers le Sud, semblait coupé par le fil d'une hache divine.

Je portai mon regard attendri vers le corps douillet de ma chère. Hélas, mille et une fois hélas, une branche de chêne la remplaçait. Sèche. Caressant sa chevelure herbue, j'embrassai son écorce qui me piquait les lèvres. La moquette, jonchée de fruits pourris, m'offrit le spectacle d'insectes bourdonnants et se carapatant sous les meubles velus. Quelques chuintements paraissaient indiquer d'autres présences. Les rideaux vibraient et les vitres, incrustées de givre, laissaient apparaître des visages d'anges. Des mille-pattes en sortaient, des cloportes s'y cachaient. Mon ordinateur avait grossi, son unité centrale, grisâtre, venait d'une autre époque. L'écran, cependant, était vide, et abritait un nid de corbeaux. Le grille-pain, devenu carcasse de 2CV, se prélassait sous l'hallogène, que je distinguais à peine d'une sombre potence. Le chien était fossilisé sur sa couverture. L'eau des verres de la veille grouillait, glauque, de limules. Mes livres, élevés en arbres, hérissés de pages, auraient fait pleurer Giono de joie. De la baignoire un relent d'algue déliquescente, mêlé au sel de mer, me rappelait les îles. Une mouette perchée sur la porte s'effaroucha lorsque j'entrai dans ce sancturaire carrelé, et dont l'émail glorifait Neptune, par de petits tridents d'améthyste sculptés. La peur me souffla un vent piqué de cristaux glacés au visage lorsque je vis une pieuvre se couler dans le syphon du lavabo. Un requin marteau enfonça le clou, rompant la baignoire et la renversant, frétillant dans les flaques océanes. Une poupe, énorme, traversait la salle de bains, les toilettes et la cuisine. Me jetant vers le frigidaire, car je n'avais pas pour autant perdu mes plus bas instincts, je ne vis qu'un sarcophage rouillé, debout contre le mur, comme un gardien de la paix devant une Maison Blanche. J'ouvris. Horreur. Les aliments, revenus à leur forme naturelle, couinaient et grognaient à l'intérieur, se mordillant les chairs, abattant des pattes griffues sur le dos des plus faibles. Je claquai la porte et, de mes bras mal assurés, entrepris de chercher une sortie. Par la fenêtre du couloir, je vis la ville, harrassée par une pluie cinglante, fondre par petits éboulements mous, à la manière du sucre. Sur le palier, mon voisin m'attendait, pendu au fil électrique de la minuterie. Alors que mon armoire à linge explosait derrière moi, projetant des débris de bois qui se fichaient dans les toiles d'araignées, et qu'un hullulement atroce montait du plafond craquelé, je sentis une poussée d'adrénaline, comme une ébulition dans une éprouvette. Un pas lourd et destructeur envoya des planches quelque part sous mon appartement, ouvrant une brêche sur une monde sonore, une jungle gouailleuse et fouailleuse, qui s'aggripait au plancher défoncé pour me rejoindre. Un corps d'araignée, de trois mètres de diamètre environ, vrombit du plafond au tapis de l'entrée, fracassant le bureau de ses pattes larges comme des pains, à quelques centimètres à peine. Un essaim noirâtre suivit, se déversant du toît, infiltrant chaque mètre cube d'air, comprimant l'oxygène, se déposant sur chaque parcelle d'espace disponible, atterrissant au hasard, dans les bouches des chiens bicéphales, sur les ventres ouverts des cafards longs comme des barques, que des chats écorchés dévoraient, suçant leurs entrailles noires comme des fruits mûrs. Ecartant les restes putréfiés de mon voisin, je courus, poussant un cri qui résonne encore. L'escalier colimaçait jusqu'au deuxième, et ne donnait sur rien...