Mâ man
Texte de Désiré Boulet
Mâ,
Le ciel était comme
à l'accoutumée, rose avec ses nuages pourpres qu'un vent glacial poussait vers
les montagnes mordant l'horizon. L'astre rouge baignait toutes choses d'une
lumière couleur de sang, annonciatrice de sa fin. Encore quelques milliers d'années
et il retournerait au néant pour renaître dans un autre univers.
Mâ était là devant le spectacle sans cesse
changeant des vagues mourant sur la plage violine. Elle et ses semblables étaient
les derniers sur cet astre mort, toute vie avait disparu au fil des siècles,
l'agonie du soleil avait eu raison de leurs efforts. Mâ était immortelle, elle
avait choisi sa forme pour ne faire qu'un avec l'écosystème d'avant. Elle sentait
bien qu'un nouveau changement allait survenir, qu'il lui faudrait encore vibrer
avec l'univers au nom de l'héritage des anciens !
L'appel tant espéré et redouté à la fois
interrompit sa méditation. Par de lentes reptations, à l'aide de ses nageoires,
elle rejoignit le milieu marin pour lequel son enveloppe avait été conçue. Tous
ceux de sa race se dirigeaient en cet instant vers le lieu du grand départ.
Ce serait la première fois depuis longtemps
qu'elle en verrait autant en même temps.
A chaque fois que son chemin avait croisé
un de ses semblables, leurs auras s'étaient mélangées pour former un arc en
ciel éblouissant libérant un flot d'énergie vitale. A cette allégresse succédait
toujours une grande détresse qui les laissait pantelants et orphelins. Ils restaient
rarement ensemble après ces unions et chacun reprenait sa route afin que la
fusion s'accomplisse avec d'autres. Leur instinct les poussait à alimenter encore
et toujours l'énergie vitale de ce monde afin qu'il atteingne le stade ultime
d'une évolution dont ils étaient les uniques représentants.
Mâ avait conscience que la reproduction,
n'avait aucun sens pour des êtres immortels. Mais quel aurait été le sens de
leur existence s'ils ne pouvaient partager ? Ils étaient là depuis des millions
d'années et allaient recommencer ailleurs, sur une autre planète où le mécanisme
de la vie n'attendait plus que leur souffle. Ils avaient bien failli réussir
ici et, malgré leur sagesse millénaire, elle sentait que cet échec ne les laisserait
pas indemnes !
Pourtant toutes les conditions étaient réunies
à l'époque où cette planète était jeune et turbulente. Le milieu marin avait
été la soupe originelle de cette genèse. Patiemment ils avaient assemblé les
premiers éléments puis insufflé la vie à ce qui devint une amibe, puis un symbiote,
puis toutes les formes que la vie avait cru bon de créer en fonction d'un environnement
de plus en plus complexe. Petit à petit le fragile édifice tendit vers des être
évolués doués de pensées. Le premier a atteindre ce niveau fut un saurien bipède
carnivore. Sa voracité était sans limites et l'instinct guidait encore ses actes
lorsqu'un météore heurta la planète et extermina l'espèce. Le choc fût
si violent qu'il arracha et mit en orbite une partie du magma.
Des milliers d'années plus tard, ce qui
devint une lune rappelle encore ce jour sinistre où tous leurs efforts furent
pratiquement réduits à néant. Les grands animaux terrestres qui ne moururent
pas sous l'impact périrent de faim et de froid en raison du long hiver qui en
résulta. Seules les petites espèces survécurent, habitués à se cacher dans le
sol pour échapper aux prédateurs, à se nourrir d'insectes et de racines. Le
temps passa et ce furent les plus vulnérables qui développèrent leur intelligence
pour compenser les carapaces ou les griffes que la nature leur avait refusé.
Ils évoluèrent et ils en virent comme les sauriens à vouloir dominer leurs semblables
pour des territoires de chasse, pour la reproduction ou pour des biens matériels
de plus en plus sophistiqués.
Mâ observait ce processus et espérait que
la sagesse arriverait bientôt. Des religions apparurent effectivement mais avec
elles des conflits où des millions d'êtres périrent au nom de dieux miséricordieux.
Cet enfant terrible de l'évolution n'était pas à une contradiction prés: Il
faisait la guerre au nom de la paix, enchaînait pour la liberté, aimait et haïssait
tout à la fois. Sa soif de pouvoir et de connaissances repoussant toujours ses
limites, il s'élança vers les étoiles pour essaimer dans la galaxie. Sa semence
lancée aux quatre vents échappa à l'action de Mâ et de ses frères. Les colonies
stagnèrent dans leur développement et d'autres régressèrent . Très vite la relation
entre la terre et l'évolution fut faite et raviva le respect et la crainte à
ceux qui se croyaient capables d'abandonner leur berceau !
Une peur irrationnel venue du fond des âges
fit renaître les croyances oubliées. Des sages et des ermites se remirent à
la recherche des voies intérieures. La technologie étant une impasse, la spiritualité
devint omniprésente. Déjà Mâ percevait les attouchements de pensées fugaces
et y répondait afin de les encourager dans cette voie. Tout semblait réuni pour
que le peuple de Mâ engendre enfin des êtres à son image. Encore quelques milliers
d'années et ils ne seraient plus les seuls dans cet univers. C'est alors que
vinrent les jours pourpres où le soleil perdit petit à petit de son éclat. Son
rayonnement était indispensable pour perpétuer la vie et fournir à Mâ et à ses
semblables l'énergie nécessaire pour continuer leur oeuvre. Cela pris des siècles
mais la fin fut inexorable...
Tous ses souvenirs et ses espoirs déçus passaient dans son esprit alors qu'elle
s'approchait du lieu de rassemblement.
Déjà les fonds étaient irisés par la proximité de tant d'énergies, il lui faudrait
bientôt quitter son enveloppe matérielle pour se fondre en un être unique capable
de se déplacer vers un autre nid.
Une fois à destination Mâ n'existerait plus,
son être serait répartie dans de nouvelles entités qui recommenceraient
le grand oeuvre .
La dernière pensée de Mâ fut amère,
à quoi bon l'éternité si leur finalité n'était
que de se reproduire comme le plus éphémère des êtres
vivants.
Désiré Boulet