Texte de Désiré
Boulet
Dénèbe le 18 Africa année 153 ap-hyper.
Chère
sœur d'incubat.
Je rentre de ma réunion avec le représentant du peuple et crois que cette rencontrer m'a profondément changé.
Il m'a reçu dans son logement personnel, une petite construction cubique à l'orée d'un désert pourpre dont seules des montagnes noires arrêtent l'immensité. A mon grand étonnement il n'y avait pas de service d'ordre ni de garde d'aucune sorte. Un transport pédo-porté m'a simplement déposé au matin devant sa porte puis s'en était allé dans un nuage de poussière provoqué par ses six pattes véloces.
L'intérieur bien que confortable n'était pas luxueux, seul trônait dans la pièce principale un appareil holographique générant des arabesques colorées en perpétuel mouvement. Après m'avoir invité à m'assoire face à ce qui semblait être un communicateur, il m'a demandé de raconter toute mon histoire. Quand je dis toute, je ne parle pas seulement de ma fuite de Prasse, mais aussi de ma propre histoire depuis ma sortie de l'incubateur.
Je ne sais pas pourquoi, mais les arabesques m'incitèrent à tout raconter de ma vie, de la fédération, de notre histoire, de notre apprentissage invitro. A mon grand étonnement, même des détails à jamais oubliés refaisaient surface, tel que le numéro de série de notre matrice. Je pense avoir parlé pendant des heures car le soleil était presque couché lorsque le transport est revenu me chercher. Il me semble que le silence bienveillant de mon interlocuteur et la sérénité de l'endroit ont contribué à dissiper toutes mes inhibitions, même celles conditionnées par l'hypnosis. Je sentais mes barrages mentaux disparaître les uns après les autres, laissant la place à des questions existentielles enfouies par des années de conditionnement.
A l'heure où je t'écris je doute que les réponses que l'on nous a inculquées soient les bonnes. La grandeur de la fédération n'est pas une finalité et nos principes ne sont pas universels, il existe d'autres voies possibles. Mon trouble grandissait devant toutes ces pseudo-certitudes qui partaient en fumée, pas de peur ni de panique, mais simplement une plénitude envahissante comme jamais je n'avais ressentie. Rien de comparable avec les traitements hallucinos que nous avons passés en troisième cycle. Les arabesques semblaient réagir à ces émotions et les couleurs devenaient de plus en plus chatoyantes et belles au fur et à mesure de mon " éveil ". Mais les informations n'étaient pas univoques. L'appareil, puisqu'il faut bien l'appeler ainsi, m'enseignait Dénèbe en même temps que ma conscience se libérait. Derrière ces arabesques, c'est toute la planète qui communiquait avec moi !
Je suis encore tout abasourdi de la quantité d'informations que j'ai intégré en si peu de temps et j'ai du mal à faire le point. Je ne sais pas encore si je vais en faire part à la fédération comme c'est mon devoir. Ce que j'ai appris ici risque d'être mal accueilli par nos dirigeants et il va me falloir du temps pour leur en parler sans passer pour un illuminé ou un subversif. Je compte sur toi pour garder ce message secret pour l'instant. Ce que je peux dire, et j'ai déjà transmis l'information, c'est que les Dénébiens n'attaqueront pas Prasse malgré la perte de leur ambassadeur et les Prassiens ne viendront pas ici non plus. Même s'ils les souhaitaient, les Dénébiens n'ont pas d'armes offensives comme nous l'entendons. Ensuite la planète est trop sèche et son sous-sol trop pauvre pour que les Prassiens puissent s'y implanter durablement. Un de leurs ambassadeurs est venu ici quelques temps puis est reparti pour des problème d'acclimatation. Je crois que sa peau se craquelait sous l'effet de la sécheresse.
Tout bien considéré, je pense que Dénèbe a plus à craindre de la Fédération que des Prassiens. Tout est tellement différent ici. A notre naissance le planificateur nous attribue notre quota de matières premières pour la durée de notre vie au nom de l'égalité durable. Sur Dénèbe il n'y a pas cette crainte de la surpopulation et donc pas de risque d'épuisement des ressources. Le Dénébiens régulent physiologiquement les naissances. Une trop grande promiscuité inhibe tout simplement leur procréation. Les villes existent mais ne sont pas occupées en permanence. Une fois le travail terminé, les citadins rejoignent les grands espaces et ne communiquent plus que par symbiose à distance. Ce système ne les a pas empêché d'évoluer puisque leurs vaisseaux se déplacent dans l'hyper. Seule leur technologie courante est atypique pour nous autres Solariens. A l'image de leurs véhicules, elle s'emploie à copier la nature. Ils se plaisent à dire que cette dernière a tout essayé et qu'il est inutile de vouloir faire autrement. Ce sont ces principes qui risquent de rencontrer l'incompréhension et même la raillerie de notre système.
Je sais que tu dois déjà en sourire car cette copie de la nature vient en contradiction avec la troisième loi : " La nature est imparfaite et c'est à l'humanité d'y remédier ". Je ne t'en veux pas car il y a peu j'en aurai souri tout autant.
Que Sol rayonne pour toi.
Mont-esquieux
Ton frère.