Texte de Désiré Boulet
Prasse le 25 Europa a année 152 ap-hyper;
Chère sur incubat,
Me voici de retour de mon voyage sur la planète Prasse.
J'ai visité les capitales trois des autres continents émergés. Elles sont
en tout point identiques à Strat !
Elles ont toutes un centre administratif
comprenant le Palais avec ses fonctionnaires relié par un canal bordé d'avenues
à un centre religieux avec ses prêtres. Cette bivalence se retrouve dans
tous les actes des Prassiens. Autour de ces deux axes rayonnent des artères
qui traversent les quartiers chics puis les zones commerciales et industrielles
pour finir enfin dans les faubourgs où résident les ouvriers qui travaillent
dans les usines.
Cette organisation toute militaire laisse présager de leur façon de penser.
Logique et rigueur au détriment des aspirations individuelles. J'ai appris par
hasard qu'il existe une autres civilisation sous les eaux de cette étonnante
planète. Les Prassiens nous avaient caché son existence. Il semble qu'aucune
relation n'existe entre les deux races et que de simples plages soient en fait
des frontières farouchement gardées. Lors de mon survol des océans, je n'ai
vu aucun bateau. Seuls de gros animaux semblables à nos cétacés crevaient les
vagues de temps en temps. Etant donné la surface occupée par les océans, les
4/5 de la planète, et les précautions prises par les Prassiens, la race océane
semble puissante. Lorsque j'en ai parlé à mon interlocuteur, ce dernier m'a
semblé gêné mais j'ai réussi à avoir quelques détails.
Apparemment les " salés " sont en guerre depuis toujours avec les Prassiens.
Ils ne veulent pas partager leurs ressources minières qui se trouvent au fond
des océans. C'est la version officielle. Je pense que la vérité est sûrement
différente. Il suffit de voir les industries déverser des tonnes de résidus
dans les fleuves qui s'écoulent vers la mer. Apparemment les " salés " ne restent
pas passifs devant cette agression caractérisée. Lors de mon voyage en ballon
à méthane, j'ai survolé une ancienne zone industrielle en ruine qui se trouve
à peu de distance de l'océan. Une trouée de plusieurs Km de large relie le site
à la mer. On imagine sans peine un raz de marée dévastant tout sur son passage
pour finir sur les usines à poison. Je ne sais pas encore comment, mais il va
falloir que j'entre en contact avec cette civilisation océane.
Je viens d'assister à la cérémonie
du solstice.
Le spectacle, malgré mon dégoût, fut à la fois grandiose et violent. C'est le
prêtre irréductible en affaire qui m'a invité en m'apportant une toge blanche
sur laquelle figure les symbole Prassiens verts et blancs de la vie et de la
mort. Je t'ai parlé de ce canal reliant le palais au centre religieux, imagine-le
bordé de part et d'autre par un rang continu de prassiens revêtus de toges identiques
à la mienne. Une foule innombrable clamant des incantations dans un brouhaha
indescriptible était maintenue à distance par des grilles et un service
d'ordre équipé de canons à eau salée. L'eau salée occasionne des brûlures sur
l'épiderme fragile des prassiens. Des oriflammes blancs du côté du palais puis
verts et blancs et enfin verts à proximité du centre religieux indiquaient ce
que j'appelle maintenant le parcours. Des musiciens soufflaient dans des trompes
archaïques, ajoutant des sons rauques à la folie ambiante où des trilles d'excitation
commençaient à se faire entendre. Je me tenais avec les officiels sur une des
terrasses du palais dont la vue englobait l'ensemble de la scène.
D'autres ambassadeurs étaient là et j'y
retrouvais avec plaisir Zalic, le Dénébien. Nos traducteurs ne pouvaient hélas
fonctionner dans ce bruit. Nous échangeâmes seulement une solide poignée de
main et mon poignet en était encore tout endolori lorsque le bruit s'arrêta
subitement. Seul les claquements des drapeaux se faisaient entendre. Une procession
de prassiennes toutes de blanc vêtues portant des vases sortit du palais en
fredonnant une mélopée. Dans mon traducteur à nouveau en service revenaient
souvent les mots vie, mort, essence, renaissance et gloire de Prasse. La première
versa le contenu blanchâtre de son vase dans l'extrémité du canal se trouvant
près du palais. Un batardeau barrait cette partie et l'isolait du reste de la
pièce d'eau. La deuxième fit de même et ainsi de suite. En tout ce fut vingt
deux prassiennes qui vidèrent leurs vases, une par mois de l'année prassienne.
Une fois la dernière passée, des vannes s'ouvrirent et déversèrent un flot blanc
et continu.
C'est à ce moment là que je compris que ce flot était constitué de vers blancs, de larves de Prassiens par milliers !
Une fois la source tarie, ce
n'était qu'un tapis blanc et grouillant qui était retenu par le batardeau. Un
son de trompe retentit et les prassiens alignés le long des canaux retirèrent
leurs toges. Leur peau verdâtre luisait au soleil comme du vieux bronzes terrestres.
Au second accord, le batardeau s'ouvrit lentement et laissa échapper le flot
de larves. A ce signal, les prassiens dévêtus plongèrent dans le canal et commencèrent
la curée. Ce ne fût que remous et éclats accompagnant ces corps luisants se
livrant au carnage. La foule au comble de l'excitation hurlait à nouveau, exultait
et bravait l'interdit en s'approchant pour participer au festin.
Les canons à eau entrèrent en action et ce furent des cris de douleur qui se
joignirent à la liesse générale. Pendant ce temps le flot de plus en plus clairsemé
s'acheminait vers le temple où des prêtres vêtus de vert semblaient attirer
cette multitude.
Une pensée me vint à l'esprit, " Venez à moi les petits enfants ". j'ignore
pourquoi cette phrase mais elle résumait toute la symbolique de cette cérémonie.
La matière vivante n'est que nourriture tant qu'elle n'est pas élevée dans la
foi. Je venais d'assister au baptême Prassien. Je ne sais pas combien ont survécu
mais il est certain que ce furent les plus forts ou les plus habiles qui arrivèrent
au bout de l'épreuve. Pour cette race, pas de manipulation génétique ni de limitation
de la population par stérilisation, mais une sélection naturelle primitive tout
aussi efficace que nos pratiques de laboratoire. Une fois le dernier plongeur
sorti de l'eau, la foule acclama les " sauveurs " (on les appelle ainsi).
Du temple s'élevèrent des chants portés pas un système d'amplification qui furent
repris par la foule. Des colonnes semblables à des minarets se mirent à tourner
en projetant mille éclats colorés attirant le regard d'une manière presque hypnotique.
C'est d'ailleurs cette idée qui m'incita à détourner les yeux. Tous ceux qui
m'entouraient étaient statufiés devant ce spectacle qui s'interrompit avec l'arrêt
des chants.
J'ai tout enregistré et envoyé l'holo au service de décryptage subliminal.
Je pense que cette séance est destinée au conditionnement des masses. D'ailleurs,
aucun des officiels qui nous accompagnaient n'ont assisté à cette scène.
Je te laisse, j'ai rendez-vous avec mon ami Dénébien au sujet de la civilisation
océane.
Il semble qu'il ait des informations à son sujet.
Que Sol rayonne pour toi.
Mont-esquieux Ambassadeur plénipotetiaire de Prasse.