Quatrième lettre Prassane

Texte de Désiré Boulet


      Prasse le 25 Africa année 152 ap-hyper,


       Chère sœur d'incubat,


      Enfin j'ai réussi à contacter le peuple des "salés".
      Sans l'aide de Zalic, le Dénébien, je pense que je n'y serais jamais parvenu.

Comme je te l'ai déjà dit, les plages sont gardées nuit et jour et même pour moi, il est impossible d'y pénétrer sous peine d'y être pétrifié par des cryogardes organiques qui patrouillent en permanence.

Ces machines régissent à la chaleur ou aux mouvements cohérents tels que la marche ou la reptation. De tels gardiens sont par nature incorruptibles car leur système nerveux se résume à un cerveau reptilien d'une redoutable rapidité. Les Prassiens les fabriquent à partir de la biomasse des marais ce qui leur confère une odeur encore plus repoussante que leur aspect. Imagine des céphalopodes dont la couleur varie avec la nature du terrain, pouvant rester des heures immobiles ou enterrés puis, sans signes avant coureur, bondissant sur leurs proies afin de les geler instantanément.


Zalic a réussi à se procurer le cadavre d'une de ces machines. J'ignore comment car en principe ils sont recyclés automatiquement à leur mort. Nous avons procédé à son démontage dans les caves de son ambassade. Les analyses ne sont pas encore terminées mais les systèmes de commande semble réagir aux signaux colorés, un peu comme ceux projetés à la foule lors de la cérémonie du solstice. A ce propos, j'ai reçu le résultat de l'analyse de ces signaux. Ce sont bien des séquences hypnotiques mais nous en ignorons hélas la signification. Le cerveau humains ne semble pas y être sensible, c'est tout ce que le décryptage subliminal a pu conclure.


 Pour en revenir aux cryogardes, la seule manière de les tromper est de baisser la température du corps et d'utiliser un rupteur optique à déformation. Pour ce qui est de la température, mon nano-sytème fait parfaitement l'affaire d'autant que l'hypothermie ne dure que quelques minutes, par contre mon rupteur ne convenait pas puisqu'il est prévu pour camoufler des installations fixes de grande dimension. Heureusement que Zalic disposait de systèmes légers sinon notre expédition eut été impossible ! Je dis " notre expédition", car Zalic est venu avec moi.


 Afin de tester notre système, nous avons lancé un factice qui a déambulé sous l'apparence d'un tourbillon de vent durant plusieurs heures au nez et à la barbe des cryogardes qui n'ont pas réagi. Une fois ce dernier test réalisé et mon nano-sytème reprogrammé pour respirer en milieu aqueux, nous avons traversé les lignes de défense et plongé dans l'océan sans difficultés. En fait d'eau, nos premières brasses se firent dans une espèce de soupe verdâtre où la lumière du jour avait du mal à passer. Au bout de quelques dizaines de mètres nous avons quitté cette mélasse pour rejoindre des eaux plus claires, ce qui nous a permis de lancer nos propulseurs. Nous avions décidé de filer droit au large, mais un fort courant nous a entraîné vers une faille qui barrait le plateau continental. Une fois à l'aplomb de cette déchirure nous avons découvert un tapis de plantes aquatiques ponctués de dômes blanchâtres. Le courant qui n'avait rien de naturel nous dirigea vers le plus imposant. Des points noirs venant à notre rencontre se révèrent être des gardes salés. Ces derniers ressemblent aux Prassiens mais ils sont plus grands et de couleur sombre. Ils échangent entre eux par des signaux acoustiques et leur tête est entourée d'une collerette qui semble servir de récepteur à ces signaux. Les gardes nous encadrèrent et nous continuâmes notre approche dans un courant dont la force faiblissait. Une fois à proximité du dôme, nous nous aperçûmes que ces constructions étaient organiques. En fait le dôme, notre destination, était une sorte d'énorme méduse broutant la prairie qui tapissait le sol. Nos gardes nous dirigèrent vers un orifice qui s'enfonçait dans l'animal.


 Tout à notre étonnement, nous nous laissâmes guider dans ce qui ressemblait à des branchies monstrueuses pour arriver devant une valve qui s'ouvrit à notre approche. Nous nous retrouvâmes dans une salle tapissée de photophores où nous attendaient des " salés " d'une couleur plus claire que celle nos gardes. L'un d'eux s'approcha et nous tendit des blocs gélatineux qu'il nous invita à poser sur nos têtes. Une fois posés, les blocs se mirent à fondre sur notre corps et, par un phénomène inconnu, les signaux acoustiques de leur langage se transformèrent en trilles Prassiennes que nos implants traduisirent immédiatement. Je ne te retranscrirai pas l'intégralité de notre conversation qui appartient pour l'instant au domaine militaire, mais voici en quelques mots ce que nous avons appris. Les deux espèces ont eu un ancêtre commun qui est arrivé sur ce monde il y a quelques milliers d'années. Ils ignorent son origine et les raisons de sa venue, mais ces anciens maîtrisaient suffisamment la génétiques pour modifier leurs organismes afin de survivre sur ce monde essentiellement aquatique.

Les années passèrent et avec elles l'envie de retrouver leurs origines devint une obsession.
Pour réaliser ce projet, ils créèrent une race aérobie afin de coloniser la surface et de retrouver le chemin des étoiles. Après des débuts encourageants et la redécouverte de l'hyper sur une planète proche, les clones, puisqu'il faut bien les appeler ainsi, décidèrent d'évoluer pour leur propre compte !
Plutôt que de rechercher leurs origines, ils colonisèrent des mondes et les asservirent afin d'exploiter tout ce qui pouvait accroître leur puissance. S'en est suivie une guerre entre les clones et les Salés qui dure encore aujourd'hui. J'ignore si les élèves ont surpassé les maîtres, mais les prassiens que nous avons rencontrés sont plus à l'écoute et tolérants que ceux de la surface. Nous nous en sommes ouverts à nos interlocuteurs qui nous ont expliqués que les aérobies ne disposent pas de toutes les caractéristiques de la race originelle. La mutation n'était prévue que pour l'exploration spatiale et le renseignement, pas pour les fonctions supérieurs comme la création ou la médiation.
Vu sous cet angle je comprends mieux l'attitude bornée des " crapauds " de la surface.


Les vrais maîtres de cette planète sont bien ici, sous l'océan. Nos nouveaux amis nous ont prévenus que nos moindres faits et gestes étaient probablement épiés et étudiés. Ils nous ont remis des brouilleurs afin de tromper les biocapteurs qui peuvent prendre toutes les formes. Ces brouilleurs sont constitués de cette mousse verdâtre que nous avons dû traverser pour rejoindre l'océan. En fait nous avons été " décontaminés " dés notre pénétration dans l'eau.

De retour à l'ambassade je me suis empressé de répandre cette mousse dans la salle des transmissions. Elle s'est étalée au point de recouvrir toutes les surfaces, du sol au plafond. Je t'écris maintenant au milieu d'une jungle duveteuse où j'ai parfois du mal à retrouver le pupitre du transmetteur. J'espère que les clones ne s'apercevront pas du subterfuge.

J'ai bien entendu déjà prévenu le conseil de Sol. J'ignore ce qu'il va décider et j'attends sa réponse, mais il est certain qu'une telle puissance entre les mains de bio-robots est un danger réel pour la terre et les autres mondes.
J'ai prévu de rencontrer des délégations des exo colonies pour les informer du danger représenté par ces clones.
J'espère qu'ils m'écouteront et qu'il n'est pas trop tard pour la terre.


Que sol rayonne pour toi.

      Mont-esquieux
      Ambassadeur plénipotentiaire de Prasse